Editorial

Michel Bougard, Président

That’s all folks !
The end…
Ite, missa est…

Il y a mille expressions pour signifier qu’on est arrivé à la fin… Eh bien, nous y sommes, nous aussi. Réunis en assemblée générale le 11 juin 2007, à l’unanimité, les membres effectifs de l’a.s.b.l. SOBEPS ont décidé la dissolution de l’association. Voilà qui est bref… Comme une lame de guillotine qui met fin à la vie d’une personne de trente-six ans.

Il faudra sans doute qu’un jour, quelqu’un écrive l’histoire de la SOBEPS. Ce ne sera pas moi. On ne fait pas de la bonne histoire quand on est à la fois acteur et critique. La SOBEPS a été lancée en mai 1971. Des membres fondateurs, seuls Lucien Clerebaut et Patrick Ferryn sont encore sur le navire. Quant à moi, j’ai rejoint l’équipage à peine deux mois plus tard, en juillet 1971.

Quand on annonce la mort de quelqu’un ou la disparition d’une structure, il est de bon ton de se livrer à l’un ou l’autre panégyrique, le défunt étant paré de toutes les qualités. Difficile de rester objectif quand on a une boule au cœur, des souvenirs plein la tête, et parfois des regrets.

En trente-six années d’activité, les responsables de la SOBEPS ont mené beaucoup de combats. Notre souci majeur a été de donner au dossier OVNI une crédibilité aussi grande que possible pour qu’il soit pris en compte par la communauté scientifique. Il fallait pour cela s’entourer de spécialistes, mettre au point des méthodes d’enquête fiables, en toute indépendance mais sans a priori. C’était l’époque de l’empirisme total, avec son lot de découvertes originales mais aussi des faux pas et des culs-de-sac. Il me restera l’amertume de mauvaises controverses avec certains “sceptiques” pour qui les témoins sont toujours des gens qui se trompent, sont l’objet de confusions diverses ou bien sont des menteurs. Qu’il me soit permis de dire à ces adversaires que l’honnêteté intellectuelle n’a jamais été synonyme de réductionnisme ou de critique systématique (voir plus loin l’article signé par André Koeckelenbergh).

Un autre de nos combats fut d’entreprendre une véritable action pédagogique vis-à-vis du public pour expliquer qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, et que, sur base des données disponibles aujourd’hui, il est impossible de conclure quoi que ce soit de définitif à propos des OVNI. Au risque de la schizophrénie, il nous fallut donc aussi polémiquer avec divers “croyants soucoupistes” pour qui le moindre point dans le ciel annonçait un atterrissage d’extraterrestres.
Je crois qu’en matière d’OVNI, on se trouve un peu comme dans la parabole des indiens aveugles. C’est une histoire qui explique bien les difficultés de la recherche, mais aussi les dangers à vouloir conclure à partir de données (très) partielles. Voici l’histoire. Un jour, dans un village indien, des aveugles apprennent qu’on a découvert quelque chose d’étrange dans le jardin de l’hospice où ils séjournent. L’un d’eux s’approche, et, en tâtonnant, touche comme une colonne droite et rugueuse : “Ce n’est qu’un gros arbre&8239;!” s’écrie-t-il. Un autre s’approche et prend entre les mains comme une longue liane, souple et mobile : “C’est plutôt une grosse corde ou une liane” dit-il. Un troisième, palpant à son tour, s’exclame : “Non, c’est bien un arbre, je viens de toucher une grosse branche qui plie”. Un autre, touchant un autre endroit, fut persuadé que c’était quelque chose avec des feuilles immenses, comme des éventails. Un dernier fut surpris de saisir de longues tiges pointues, bien lisses, comme des pieux durcis au feu. Ils avaient tous décrit une partie réelle de ce qui se trouvait devant eux, sans en percevoir la totalité ni bien sûr comprendre qu’ils étaient face à un éléphant. Le premier avait saisi une patte, le second s’était emparé de la queue, le troisième avait touché la trompe, le quatrième une oreille et le dernier, les défenses. C’est une histoire qu’on utilise souvent dans un contexte philosophico-religieux pour montrer combien, seul, on ne peut rien, mais elle s’utilise aussi en épistémologie pour faire saisir la difficulté de comprendre un phénomène dont on ne peut connaître que des fragments, soit parce que les données sont partielles (comme pour les OVNI), soit parce que la “réalité” est inaccessible (comme pour la structure fine de l’atome).

L’évolution des moyens de communication a aussi changé la donne. Lors de la vague belge de 1989-91, lorsque nous organisions des nuits d’observation ou que nous enquêtions, parfois au moment même où des observations se produisaient, nous avions à notre disposition des « téléphones portables » (!?), à l’autonomie limitée et qu’on déplaçait dans une valise de plusieurs kilos. Quelques années plus tard, les mini-téléphones cellulaires (dits GSM en Belgique) étaient disponibles partout. Je n’ose imaginer ce que l’existence de cet outil de communication aurait pu nous apporter durant l’hiver 1989-90.

Internet a aussi considérablement changé la diffusion des informations. Alors que nous devions attendre plusieurs jours, même souvent plusieurs semaines, avant de connaître l’un ou l’autre fait ufologique à l’étranger, aujourd’hui nous en sommes avertis à l’heure même où il se produit. La rapidité de cette diffusion n’a pas que des effets positifs. Il y a en effet beaucoup moins de recul par rapport aux événements, l’image et le discours l’emportant sur le texte mûri après réflexion. L’explosion (on peut parler de pléthore) de sites web consacrés à l’ufologie est un signe qui ne trompe pas. On y trouve (c’est, on le sait, le lot de la « toile ») le pire et le meilleur, mais la plupart du temps les informations diffusées sont simplement relayées, sans vérification aucune. Malgré le nombre de témoignages nouveaux ainsi connus, peu atteignent, dans l’enquête qui les concerne (quand celle-ci a été faite, ce qui rarement le cas), la crédibilité de ce qui fut publié à la fin du 20ème siècle. Une autre constatation, révélatrice d’une apparente stagnation dans la recherche ufologique, est que les plus sérieux parmi les ufologues d’aujourd’hui se contentent de gérer des catalogues, de préciser l’un ou l’autre point de détail dans un cas, sans vraiment renouveler les idées en la matière.

Ces dernières années, en raison de la raréfaction d’observations importantes, suite aussi pour certains à la stagnation des études sur le sujet, et pour d’autres encore, l’impression qu’ils en apprennent plus en « surfant » sur internet, nous avons enregistré une chute massive de nos membres adhérents et des collaborateurs bénévoles. N’ayant jamais reçu le moindre subside officiel ni le moindre cadeau d’un mécène, les caisses de la SOBEPS se sont peu à peu vidées. Nous rassemblons les derniers euros pour pouvoir vous offrir ce dernier numéro (double) d’Inforespace. En mettant définitivement la clé sous le paillasson, il faut aussi songer à la préservation de nos archives…

Ce n’est pas là un problème simple. Pour ce qui est des ouvrages de notre bibliothèque, il a été décidé de les mettre en vente. Vous avez trouvé, joint à ce numéro, une liste des ouvrages proposés à la vente. Le résultat de cette vente nous permettra de régler les derniers frais (impression de la revue, loyer, redevances diverses). C’est peut-être pour vous la dernière occasion de nous aider (financièrement) et nous comptons sur vous (il est impératif, avant toute commande de contacter M. Lucien Clerebaut au [00-32]-(0)2.523.60.13].

Pour ce qui est des milliers de rapports d’enquête (la vague de 1989-91 représente à elle seule vingt-cinq épais classeurs, pour un total d’environ vingt mille pages), aucune décision définitive n’a été prise. Nous voulons que ce « trésor de guerre », ce matériel d’étude incomparable, puisse être accessible à tout chercheur, à la condition de respecter quelques règles, l’anonymat des témoins étant la principale condition exigée.

Les responsables de la SOBEPS tiennent à remercier les nombreux collaborateurs qui, durant ces trente-six années, ont largement contribué à asseoir et renforcer notre action. Ils n’ont ménagé ni leur temps, ni leur argent souvent, pour nous aider, bénévolement, à mener à bien toutes les tâches qui ont fait le succès de notre association : les travaux (souvent fastidieux) de secrétariat, la rédaction des textes, la mise en page des revues, les longs déplacements pour aller enquêter et des dizaines d’autres activités. Merci à vous tous qui nous avez soutenu.

Notre temps est révolu, nous déposons nos outils. Avec le sentiment d’avoir fait tout ce qui était dans nos moyens de faire. Encore une fois, avec les moyens limités que furent les nôtres, nous avons, sans fausse modestie, réussi à crédibiliser la question des OVNI, à intéresser plusieurs scientifiques et à être un interlocuteur reconnu par divers autorités du pays. Dans le même temps, nous n’avons jamais négligé notre mission d’« éducation » du public. Il nous faut ici remercier les divers journalistes qui ont souvent compris la spécificité de la SOBEPS et qui ont été un relais indispensable dans l’information citoyenne à propos des OVNI. Au moment où vous lisez ces lignes, vous avez eu (ou vous aurez bientôt) l’occasion de voir le dernier reportage consacré à nos activités, dans le cadre de cette fameuse « vague belge ». Réalisée par Franck Istasse pour le magazine Questions à la une de la RTBF, ce dossier constitue pour nous une dernière occasion d’expliquer notre méthodologie.

Et maintenant, que va-t-il se passer ? Le phénomène OVNI s’affirmera peut-être un jour ou l’autre d’une manière plus décisive, permettant une récolte de données plus riches sur le plan scientifique que les simples enquêtes a posteriori. Le perfectionnement des techniques d’investigation, notamment dans l’exploration de l’univers, amène des découvertes qui vont changer les mentalités à propos de l’idée d’une vie extraterrestre. Paradoxalement, on a toujours consacré beaucoup plus de moyens à la quête de signes intelligents dans l’univers et au développement de l’exobiologie, qu’à l’étude des OVNI. Ce qui était du domaine de la spéculation gratuite il y a à peine dix ans, devient aujourd’hui une certitude expérimentale : les systèmes planétaires sont abondants dans l’univers et le moment est proche où nous serons capables de repérer des petites planètes semblables à la nôtre. Déjà, en avril 2007, le VLT (Very Large Telescope) de l’Observatoire européen austral, à La Silla (Chili), a révélé la présence, à 20,5 années-lumière, d’une planète « tellurique » dont la masse n’est que cinq fois celle de la Terre. Cette exoplanète est proche de l’étoile naine Gliese 581, ce qui pourrait conduire à une température comprise entre 0 et 40 °C à la surface de cette planète, des conditions on ne peut plus propices pour la présence d’eau liquide et donc d’une possible apparition de la vie.

La multiplication de telles découvertes conduira inéluctablement à reconsidérer la question de la vie extraterrestre et de ses contacts avec nous. Ce sera le temps où l’ufologie deviendra un secteur intégré à l’exobiologie, où l’on aura compris, pour reprendre une phrase de Pierre Lagrange, que la Terre est depuis longtemps visitée par des intelligences venues d’ailleurs et qui, devant ce qu’ils observent, doivent sans doute se comporter comme « des primatologues face à des babouins ».
Merci aussi à tous ceux qui ont alimenté la revue Inforespace et qui ont permis qu’elle devienne une publication exemplaire, considérée par beaucoup comme la meilleure en langue française. Merci enfin, à vous tous qui appartenez au « dernier carré » des membres de la SOBEPS, fidèles abonnés et sympathisants à nos projets. Sans vous, nous aurions dû abandonner déjà beaucoup plus tôt. On vous salue tous… Maintenant il faut que le rideau tombe…

« C’est à cause que tout doit finir que tout est si beau »
[Charles-Ferdinand Ramuz, Adieu à beaucoup de personnages – Les Cahiers Vaudois, 1914].


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